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Le problème Stocamine

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Intervention de Philippe Elsass, ingénieur civil des Mines de Paris, docteur-ingénieur en géologie à la conférence du 1er novembre 2025.

A l’époque de l’accident de Stocamine en 2002, j’étais le directeur du Service géologique régional Alsace. J’intervenais fréquemment aux MDPA, mais seulement sur la partie environnement : je faisais partie du groupe d’experts assurant le suivi de la dissolution des terrils et de l’interception des langues salées dans la nappe par des pompages, mais je n’ai jamais été consulté sur l’exploitation de la mine ou sur le projet de stockage souterrain. 

J’ai cependant pu visiter une fois la partie surface du site de Stocamine. En 2012 j’ai été consulté, en tant qu’expert de GEODERIS sur les gisements de sel, sur l’abandon de la concession minière des MDPA, où j’ai étudié le rebouchage des puits. Les recommandations que j’ai faites sur les compléments de documentation qui me semblaient nécessaires n’ont pas été suivies par la DRIRE.

Dans les années 80 le gisement de potasse était bien connu et l’on savait déjà que la fin de la mine serait pour 2004. C’est d’ailleurs pourquoi je ne suis pas entré aux MDPA à la fin de mes études : ils m’auraient bien pris comme ingénieur d’exploitation mais n’avaient pas besoin de géologue ! Le projet Stocamine était inspiré par la décharge souterraine de Herfa-Neurode en Hesse (une ancienne mine souterraine de sel et de potasse) et présenté comme une reconversion en 1991. C’est pourquoi le projet a été accueilli très favorablement à l’époque par les collectivités locales.

Tous ceux qui connaissent un peu les mines de potasse d’Alsace savent que les galeries dans le sel se referment plus ou moins rapidement par fluage du sel, et qu’un entretien constant est nécessaire pour les garder ouvertes. Le projet Stocamine tel que conçu au départ prévoyait probablement que les déchets finiraient encapsulés dans le sel, comme ce que prévoyaient à l’époque les sites de déchets nucléaires dans les dômes de sel allemands. Ces derniers en sont d’ailleurs revenus, voir les déboires de la mine d’Asse !

Mais en 1992 est sortie la loi sur la réversibilité, le projet a alors été adapté avec un enregistrement de la composition et de la localisation des déchets. L’échantillonnage des déchets que j’ai pu observer lors de ma seule visite m’a laissé perplexe : les déchets arrivaient en big bags d’une tonne et l’opérateur en prenait une cuillerée sur le dessus… ce qui n’était pas très représentatif du contenu si les déchets n’étaient pas très homogènes !

L’incendie du stockage souterrain est dû au directeur qui a laissé entrer dans la mine des déchets qui n’auraient pas dû être acceptés et qui ont pris feu spontanément. Cela a d’ailleurs fait l’objet d’un jugement en 2019, déclarant la société Stocamine et son directeur coupables du « délit de mise en danger d’autrui par violation manifestement délibérée d’obligations particulières de sécurité et prudence ». Les échos que j’ai eu à l’époque étaient que Stocamine n’arrivait pas à obtenir suffisamment de déchets par rapport à son business plan, mais de là à accepter un mélange de déblais d’incendie qui dégageait une puanteur de matériaux organiques, malgré de nombreux avertissements des techniciens !

Le devenir de la mine reste empreint d’incertitude : la mine s’ennoie, mes collègues allemands me disaient « Il y a 2 sortes de mines de sel, celles qui sont ennoyées et celles qui vont l’être ! ». La mine se remplit actuellement d’eau par l’Est du gisement à un rythme mal connu, et elle se referme en même temps à un rythme mal connu aussi, ce qui fait qu’il est impossible d’avancer une durée de remplissage. Les experts sont cependant d’accord pour dire que dans quelques centaines d’années les eaux d’infiltration, devenues des saumures par équilibrage avec l’encaissant, finiront par arriver au niveau du site de stockage et qu’elles remonteront par plusieurs puits de mine, notamment les puits Amélie d’où sortiraient les saumures potentiellement contaminées par les déchets. On notera que les puits ont été rebouchés par des cendres volantes, ce qui d’après les experts allemands ne garantit absolument pas leur étanchéité. 

De plus les dernières observations faites en 2022 au puits Joseph, le puits de retour d’air plus affecté par la corrosion, montrent que le cuvelage en fonte est très corrodé et même déformé au niveau de la nappe phréatique. Cela risque d’entrainer des arrivées d’eau conséquentes par les puits qui vont chambouler les prévisions : en effet les études faites jusqu’à présent supposaient que les d’entrées d’eau dans les puits se feraient à l’extrados du cuvelage et seraient donc relativement limitées. 

Coupe schématique de la décharge souterraine (document MDPA-Stocamine)

Il est très difficile aussi de prédire ce qui se passera lors de l’ennoyage de la décharge souterraine, qui est située 20 m sous le gisement exploité (voir la coupe schématique). L’un des accès est en très mauvais état et se referme plus rapidement qu’ailleurs. Deux autres sont déjà partiellement équipés de barrages de béton qui n’ont pas été achevés suite aux décisions de justice, ce qui pose des problèmes de stabilité des terrains.

Lorsqu’ils sont bien faits, ces barrages peuvent tenir longtemps, on en connait des exemples, mais les terrains au-dessus des couches exploitées sont intensément fracturés par suite du foudroyage des exploitations et vont être imbibés de saumure. Il est assez probable que les saumures atteindront le stockage mais difficile de prévoir combien elles vont se charger en polluants. Les chimistes pensent qu’elles vont se charger en priorité en mercure et en chrome et dans une moindre mesure en arsenic. C’est pourquoi le fait d’avoir retiré en priorité les déchets mercuriels est une bonne chose.

C’est la fermeture des terrains qui provoquera in fine l’expulsion des saumures par les puits, où elles rencontreront les eaux douces infiltrées. D’après l’équilibre hydrostatique il est à peu près certain qu’il y aura des fuites par les puits à la base de la nappe, générant des langues salées s’écoulant en aval dans la nappe. Nous avons l’expérience des langues salées qui s’écoulaient en aval des terrils des MDPA, et nous avons les moyens techniques de les intercepter par des pompages de fixation. Ce sont cependant là des opérations très longues et très coûteuses.

Devant toutes ces incertitudes, le principe de précaution voudrait que l’on retire tous les déchets, mais avec le temps la dégradation des terrains fait que cette opération est de plus en plus difficile et dangereuse. Elle n’est pas impossible techniquement, mais le risque et le coût en deviennent de plus en plus disproportionnés. 

Il est clair que dans cet affaire l’Etat a fait traîner les choses pour ne pas avoir à payer aujourd’hui le retrait des déchets, qui était pourtant obligatoire d’après la Loi et indiqué au titre du principe de précaution, et que ce sera aux générations futures de payer les travaux de remédiation. 

N.B. : Les documents cités sont disponibles sur le site : www.mdpa-stocamine.org

Plan du site de stockage : l’incendie s’est produit dans le bloc 15 au Sud
(document INERIS)

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