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Un déclin économique inéluctable ?

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Jean-Philippe Atzenhoffer

Un déclin économique inéluctable ?

L’Alsace est perçue, que ce soit de l’extérieur pour par les Alsaciens eux-mêmes, comme une région prospère. Il est vrai qu’elle a longtemps été une des régions les plus dynamique de France, et elle dispose d’atouts bien identifiés du fait de son identité et de sa position géographique : attractivité touristique, entreprises exportatrices, Université de pointe, etc.

Une image idyllique trompeuse

Si les performances économiques apparaissent bonnes par rapport à la Lorraine, elles sont nettement moins flatteuses vis-à-vis de l’ensemble du pays, et encore pires par rapport aux voisins de son espace rhénan. En effet, un certain nombre de données indiquent que l’économie alsacienne est engagée dans un déclin progressif profond depuis une trentaine d’année.

Aujourd’hui, la production de richesse par habitant de l’Alsace est identique à la moyenne française, avec un PIB/habitant représentant 95% de la moyenne de l’Union Européenne en 2017. Certes, cette piètre performance vient partiellement du travail transfrontalier, qui procure des revenus sans contribuer au PIB local. Il n’en reste pas moins que l’Alsace a le PIB/habitant et le taux d’emploi le plus faible du Rhin Supérieur, et le taux de chômage les plus élevé.

L’institut suisse BAK Economics a récemment mis en place un indice d’attractivité économique compilant de nombreuses statistiques économiques. Permettant de comparer l’ensemble des régions et des pays européens, il indique que l’Alsace est moins attractive que les autres régions du Rhin Supérieur et que la moyenne française.

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L’innovation en berne

L’innovation est le déterminant fondamental de performance économique, augmentant la productivité et donc la création de richesse à long terme. L’Alsace semble disposer d’atouts considérables avec la présence d’une Université à notoriété mondiale avec ses cinq Prix Nobel, un tissu d’entreprises soudé par des réseaux professionnels bien organisés.

Mais cette excellence académique ne se traduit pas par un effet d’entrainement sur les entreprises. Alors que Bâle côtoie la Silicon Valley en terme d’innovation, et que Karlsruhe héberge le plus grand centre de recherche technologique d’Allemagne, cet environnement ne crée aucune émulation du côté de la rive gauche du Rhin.

En 2021, les dépenses de recherche et développement (R&D) ne représentaient que 0,9% du PIB alsacien. Ce montant est très inférieur à la moyenne française (1,44%), qui est elle-même faible au regard des voisins européens. Il serait cruel encore plus cruel de comparer ce chiffre avec celui des voisins rhénans (presque 5% au Bade-Würtemberg). Ainsi, le taux d’entreprises non innovantes est de 38% en Alsace, soit dix points de plus qu’au pays de Bade (29%).

Si l’Alsace est considérée comme une terre industrielle, il s’agit avant tout de sites de production, les sièges sociaux et les fonctions stratégiques (R&D, ressources humaines, marketing, etc.) se trouvant souvent ailleurs. Cela explique une autre faiblesse de l’économie alsacienne, la faible proportion de services créatifs et innovant dans l’emploi total.

Sortir du déni

L’exemple de l’Observatoire sur la Recherche et L’innovation en Alsace (ORRI) est révélateur du déni qui empreigne les esprits. Créé en 2007 par la Région Alsace et l’Université de Strasbourg, ses trois premiers rapports ont révélé le déclin prononcé de l’économie alsacienne. Mais au lieu de voir la réalité en face et d’en tirer les conséquences, on a préféré supprimer le jeune observatoire dont les conclusions dérangent. A défaut de trouver des solutions, on casse le thermomètre.

Il est vrai qu’il n’existe pas de baguette magique pour redresser la situation, d’autant plus que la situation locale est très dépendante du niveau national. Les règles importantes qui façonnent l’économie (fiscalité, marché du travail, etc.) sont essentiellement décidées nationalement, en particulier en France.

Les pouvoirs publics peuvent néanmoins agir dans plusieurs domaines qui ont des répercussions économiques positives à long terme : infrastructures et moyens de transport, éducation et formation (particulièrement important dans une région bilingue), santé, etc.

Mais pour pouvoir actionner correctement ces leviers, encore faut-il avoir une organisation publique efficace qui soit en mesure de proposer les meilleurs services publics au meilleur cout. Or, de nombreux travaux pointent l’inefficacité des institutions, à commencer par le millefeuille territorial à la complexité croissante. La Région Alsace n’avait qu’une très maigre autonomie pour travailler sur les enjeux rhénans (coopération transfrontalière, bilinguisme, etc.). Elle a été réduite à néant en 2016, lors de son remplacement par une mégastructure bureaucratique qui génère de nouveaux problèmes au lieu d’apporter des solutions.

Emmanuel Macron a bien identifié ce problème en proposant une réforme de décentralisation en 2024 censée simplifier l’organisation territoriale. Il se trouve que le projet de Région Alsace unique regroupant les compétences régionales et départementales rentre parfaitement dans ce cadre de simplification. Si la création d’une telle collectivité hors du Grand Est est une étape indispensable, il est nécessaire à long terme qu’elle soit dotée d’une véritable capacité d’action dans les domaines précités. Seul un degré d’autonomie suffisant permettra de travailler sur un pied d’égalité avec les partenaires rhénans, et de profiter du formidable potentiel économique de la vallée du Rhin.

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